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Une fois trompés les barrages des Condéens, et atteintes les lignes de l’armée royale, Nissac requit deux chariots qu’il fit conduire par des mousquetaires, lui-même, ses Foulards Rouges et vingt dragons escortant de très près le convoi.

La Cour s’étant installée à Saint-Denis depuis la veille, 29 juin, le voyage ne fut point long, ni fatigant.

D’autorité, le général de Nissac fit déposer les lourds coffres en les écuries dont il fit interdire l’entrée par les vingt dragons.

Prévenu par un billet qu’un trésor « d’importance » l’attendait, Mazarin arriva aussitôt à très vive allure, accompagné du roi et d’Anne d’Autriche.

Les huit Foulards Rouges, qui se tenaient devant les cinq coffres, la main sur la garde de l’épée, s’écartèrent.

Approchant des doigts tremblants, Mazarin souleva le couvercle du premier coffre et resta sans voix. Puis, dans une hâte fébrile, il ouvrit les quatre autres.

Le roi s’approcha, saisit une très ancienne couronne de roi carolingien et l’observa avec la plus grande surprise :

— Mais c’est là royal attribut ! dit-il.

Mazarin s’empara d’autres objets, les reposant, fouillant dans les coffres puis, assez pâle :

— Trésor royal et d’Église sont mêlés. Certains de ces joyaux avaient disparu depuis des siècles !… Nissac, comment la chose est-elle possible ?

Omettant de citer le duc de Salluste de Castelvalognes, qui ne l’eût pas souhaité, et prétendant agir sur la foi d’un très ancien parchemin, ce qui ne constituait point fausseté, le comte raconta la découverte du drakkar.

— Il faut conserver les attributs royaux et d’Église ! dit Anne d’Autriche d’un ton qui n’invitait point à la discussion.

— Il en restera bien assez ! dit le cardinal.

Le roi, avant de se retirer, regarda chacun des Foulards Rouges, puis :

— Madame, messieurs, vous êtes les plus fidèles de mes sujets. Je ne l’oublierai jamais.

Il sortit, accompagné de sa mère, Anne d’Autriche.

Mazarin ne savait plus très exactement ce qu’il admirait le plus, du fabuleux trésor ou de « ses » Foulards Rouges qui, à tout instant, rendaient possible ce qui ne le semblait point.

Annulant ses obligations, il organisa rapidement un succulent repas avec sa troupe d’élite et décréta deux jours de repos obligatoire ici même ou en la ville de Paris… précisant cependant, le regard par en dessous, que certaine forme de fatigue n’entrait point en cette obligation.

Aussi, tous retournèrent à Paris, à l’exception de Sébastien de Frontignac qui souhaitait faire avancer sa cause auprès de la très jolie Catherine de Dumez, qui se trouvait à la Cour.

Nissac, acceptant un peu à regret de céder à l’insistance du cardinal, laissa ses Foulards Rouges disposer de leur temps, bien que sa crainte fût grande de voir ses hommes se détacher de l’action et n’y revenir qu’à contrecœur.

Ses craintes se révélèrent fondées.

Si le comte prit plaisir à retrouver la petite maison de la rue Neuve-Saint-Merry et les repas en commun avec le père de Mathilde, pour les Foulards Rouges, les fortunes furent diverses.

Le baron de Florenty étudia une nouvelle fois les rues de Paris, lui qui en connaissait parfaitement le sous-sol. Époux sérieux, il ne chercha pas un seul instant à se distraire en compagnie féminine.

Tel ne fut pas le cas du baron Le Clair de Lafitte qui chercha à rencontrer, pour lui conter fleurette, femme qui ne fût point bavarde comme son épouse, et de davantage de tempérament en les choses de l’amour.

Restaient les célibataires.

Pour certains, dont les affaires se trouvaient déjà fort avancées, ces deux jours permirent d’affirmer plus encore à celles qu’ils aimaient quelle passion était la leur. Ainsi d’Henri de Plessis-Mesnil, marquis de Dautricourt, avec Charlotte de La Ferté-Sheffair, duchesse de Luègue, qui n’avait point encore quitté Paris pour son château de Saintonge.

À Saint-Denis, le baron Sébastien de Frontignac parvint à faire compliment à la jeune et jolie Catherine de Dumez, qui se laissa embrasser la main. Enhardi, Frontignac approcha le père de la belle, un officier de très haut rang qui avait envisagé autre parti pour sa fille mais, voyant par hasard le Premier ministre serrer le jeune homme contre sa poitrine et le roi lui-même l’entretenir en particulier quelques instants, il se dit que ce monsieur de Frontignac, traité avec tant d’égards, ferait un gendre des plus acceptables.

Pour le lieutenant Maximilien de Fervac, les choses ne furent point des plus simples.

Il se trouvait au lit, en compagnie de sa jolie Manon, et pensait l’instant propice, leur étreinte ayant été des plus sensuelles mais aussi des plus tendres.

D’une voix d’abord hésitante, qu’il affermit bientôt, il demanda à la jeune femme ce qu’elle ressentait à l’idée que son amant était à présent baron de Fervac ; aristocrate, en somme.

Un rire clair et cascadant lui répondit.

Bien que telle réponse le vexât, il n’en laissa rien paraître, attaquant de nouveau :

— Le cardinal m’a laissé entendre que je serais bientôt capitaine aux Gardes Françaises.

Nouveau rire.

Il reprit :

— Je vais avoir des terres en ma baronnie, et beaucoup d’or. Cela s’ajoutant à ce qui précède.

La jolie Manon, couchée à son côté, se redressa légèrement :

— Alors tu vas me quitter ?

— Il ne s’agit point de cela. Mais toi, quitterais-tu la vie qui est la tienne pour devenir baronne de Fervac ?

Elle le regarda avec stupeur puis l’embrassa avec fougue, ne reprenant souffle que pour lui dire :

— Baronne ou pas, il y a si longtemps que j’attendais ces paroles !

À quelques rues de là, monsieur le baron de Bois-Brûlé allait solitaire et sans but lorsqu’une troupe qui donnait la comédie attira son attention.

Jouant des coudes, qu’il avait puissants, le baron se trouva au premier rang et fut stupéfait de reconnaître Églantine, avec laquelle il jouait un drame sur ce genre d’estrade en son ancienne vie.

Au reste, la surprise fut partagée car la jeune femme, voyant son ancien camarade, quitta les planches, lui prit la main et l’entraîna en courant sous les huées des spectateurs.

Ils coururent ainsi plusieurs minutes, monsieur de Bois-Brûlé s’interrogeant sur les raisons de cette course mais la petite main d’Églantine en la sienne constituait tel enchantement qu’il ne songea aucunement à interrompre cette étrange cavalcade.

Enfin, la jeune femme s’arrêta sous les branches d’un saule pleureur qui les dissimulait puis elle le regarda avec une attention qui égalait celle que lui portait monsieur de Bois-Brûlé.

Églantine, vingt-trois printemps, était charmante blondinette aux grands yeux d’un bleu profond et au visage intelligent. Dressée sur la pointe des pieds, elle n’aurait pas atteint mi-poitrine de monsieur de Bois-Brûlé.

Son regard se fit sévère.

— T’es-tu échappé des galères du roi ?

— Je n’y ai point été, ayant obtenu grâce de Son Éminence tandis que le roi m’a fait baron.

Églantine éclata de rire mais, voyant l’air sérieux de son ancien camarade, elle se reprit :

— D’un baron, tu as les beaux habits, mais toi, baron, c’est là chose impossible.

— Avec la Fronde, tout est possible. Tu peux être prince et connaître la prison, comme monsieur de Condé, ou promis aux galères et devenir baron comme je le suis.

Églantine savait qu’en dehors de la scène, où il avait surtout joué jadis des personnages bouffons, son ancien camarade n’était point homme à lancer pareille plaisanterie.

Elle hésita, puis :

— Baron, baron, comment est-on baron ?

— Par royale décision. Avec terres et château.

Elle le crut mais une ombre de tristesse passa sur son visage lorsqu’elle lui dit :

— Eh bien sois heureux en ton château et oublie le théâtre et ta vie de jadis.

Il lui sourit.

— Je me rappelle une nuit d’automne, sur la route d’Auxerre. Il pleuvait et le temps était tout de froidure et de brouillard. En la vieille charrette couverte de toile qui nous abritait, nous, six pauvres comédiens, tu étais en proie aux fièvres. Je ne t’ai point lâché la main que nous ne soyons arrivés.

— Je sais.

— C’est un des plus beaux souvenirs de ma vie.

Elle posa ses poings sur ses hanches, soudain scandalisée :

— Alors pourquoi, lorsque je t’ai souri, au matin, as-tu montré si grande froideur ?

— Je croyais que tu te moquais.

— Pourquoi l’aurais-je fait ?… Pourquoi pareille idée ?…

— Parce qu’on se moque de moi depuis toujours car comme le singe, ici, je fais rire.

— Seuls les imbéciles rient. Dont je ne suis point, je l’espère !… À présent adieu, sois heureux en ton château moi, je dois m’en retourner là-bas.

Elle fit demi-tour, il la rattrapa vivement par la main.

— Je n’y serai point heureux. En un château, il faut châtelaine.

— César !…

Ils se regardèrent longuement puis s’embrassèrent, dissimulés au regard des autres par les branches du saule pleureur qui tombaient jusqu’à terre.

Le troisième jour, inquiets, Nissac et les Foulards Rouges se rendirent chez Manon qu’ils trouvèrent en compagnie du lieutenant des Gardes Françaises.

En une de ses colères froides, le comte parla durement au baron de Fervac, prononçant même le mot « déserteur ».

Fervac protesta :

— Point du tout, je songeais à me marier, monsieur le comte !

Nissac haussa les épaules.

— Se marier, se marier : mais en pareille guerre civile, qui songe à se marier ?

Sébastien de Frontignac fit un pas en avant :

— Moi, monsieur le comte !

Le marquis de Dautricourt rejoignit Frontignac :

— Moi pareillement !

Monsieur de Bois-Brûlé s’avança à son tour :

— Et moi de même !

Nissac fit les cent pas sous le regard amusé de Mathilde puis, d’une voix plus douce :

— Qu’en pensez-vous, Melchior, c’est là très curieuse épidémie, me semble-t-il.

Le Clair de Lafitte eut un geste las :

— Si le spectacle de ma chère épouse ne les en a point dissuadés, qui le fera ?

Nissac les regarda tour à tour, puis :

— Soit !… Mais vous prendrez épouse après que nous aurons vaincu la Fronde !

Il jeta un rapide – mais tendre – regard à Mathilde et ajouta :

— Au reste, vous ne serez sans doute point les seuls !

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